Septembre 2014| Vol. 5 | N°3

Un cadre national de qualifications au Québec pour une meilleure adéquation formation – emploi

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Les cadres nationaux de qualifications sont un phénomène mondial. Ils sont utilisés par les pays pour rafraîchir ou réformer les systèmes d’éducation et de formation conçus au siècle dernier. Au Québec, nous aurions avantage à adopter un tel cadre, d’autant que près de nous, l’Ontario vient de le faire, que le Canada et quelques autres provinces y songent et qu’aux États-Unis, il y a des pressions pour que le gouvernement américain en adopte un. Mais ce n’est pas la seule raison, ni la meilleure.  La bonne raison, la voici : un cadre national de qualifications s’accompagne de dispositifs qui sont de nature à faire évoluer nos systèmes de formation professionnelle et technique vers une meilleure adéquation formation – emploi. Pour le dire de façon triviale, un CNQ permettrait de résoudre des problèmes bien connus, mais pour lesquels nous avons beaucoup de mal à trouver des solutions « consensuelles ».

Le premier de ces problèmes c’est le manque de transparence des qualifications.Prenons l’exemple des AEP de l’ordre secondaire et des AEC de l’ordre collégial. Ces certifications conduisent à des qualifications de différents niveaux. Par exemple, il y a des AEP qui mènent à des métiers semi-spécialisés, d’autres à des spécialités de DEP et d’autres encore sont de même niveau qu’un DEP. Le phénomène est semblable pour les AEC. Cette situation nuit à l’estimation de la valeur de ces diplômes qui sont considérés comme des certifications de niveau inférieur au DEP et DEC. Et, dans le cas des AEC, le fait qu’il y en ait qui soient de même niveau que les DEP génère une tension entre les deux ordres d’enseignement. Un cadre de qualifications permettrait aussi de mieux situer les Certificats de qualification professionnelle (CQP) d’Emploi-Québec dans le paysage des certifications québécoises, réglant une autre tension, celle-là entre l’Éducation et l’Emploi. Sur ce problème, les cadres nationaux anglo-saxons sont très intéressants parce qu’ils ont quatre, cinq, six niveaux pour la formation professionnelle et technique, là où nous en avons deux.

Les AEC et les AEP obtenues à l’issue de formations de courte durée ont explosées depuis la fin des années 90. C’est le cas aussi des CQP. Ce phénomène témoigne d’une réponse des établissements scolaires et du ministère de l’emploi aux évolutions du marché du travail et… aux difficultés d’un système d’éducation qui parvient difficilement à qualifier les jeunes dans les filières de la formation professionnelle et technique, mais ça, c’est un autre débat. Quoiqu’il en soit, AEP|AEC font figures de parents pauvres, surtout lorsqu’il s’agit de programmes d’établissements. Ce qui nous amène au deuxième problème : la reconnaissance des certifications qui relève du ministère de l’éducation.

Dans les pays qui ont un cadre national de qualifications, ce sont des instances multipartites qui reconnaissent les certifications, ceci pour assurer une neutralité essentielle dans un monde où les organismes certificateurs se multiplient et les lieux d’apprentissage aussi. Le modèle français est particulièrement inspirant à cet égard. Dans la foulée de la loi de 1971, qui oblige les entreprises à investir un pourcentage de leur masse salariale en formation, le nombre de salariés en formation s’accroît et partant, le marché de la formation continue. Dès lors, l’État français et les partenaires sociaux envisagent de donner aux formations conçues pour ce public une reconnaissance officielle de l’État. Pour ce faire, la France met sur pied une procédure dite d’homologation visant à conférer une reconnaissance officielle et nationale à des titres et des diplômes qui ne viennent pas de l’Éducation Nationale. L’instance gouvernementale chargée alors de la mettre en œuvre est la Commission technique d’homologation (CTH), aujourd’hui remplacée par la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP)1) qui gère le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), soit le cadre national de qualifications français. Le RNCP contient donc des certifications octroyées au nom de l’État et des certifications reconnues par l’État, toutes deux ayant un statut équivalent dès lors qu’elles y figurent. Et là, nous allons faire rêver : il y a plusieurs avantages pour les organismes « certificateurs »2) français à faire reconnaître leurs certifications, entre autres, celui d’obtenir du financement pour leur formation.

Un autre problème que pourrait régler un cadre national de qualifications : une offre de formation qui ne favorise pas les parcours. Au Québec, nous formons « au seuil d’entrée ». Or ce choix fait au siècle dernier est de moins en moins compatible avec la formation tout au long de la vie. Pour illustrer le phénomène, prenons l’exemple de la coiffure que nous présentons dans les articles consacrés aux cadres australiens, écossais et français. Nous avons deux certifications qui mènent à l’exercice de ce métier, le DEP de l’Éducation et le CQP de l’Emploi. De plus, toutes deux mènent au métier de coiffeur généraliste. Alors que l’Australie en compte cinq, la France neuf, et l’Écosse, treize. De plus, dans ces pays, les certifications de la coiffure s’échelonnent sur plusieurs niveaux de qualification, cinq en Écosse, cinq en Australie, trois en France. En Australie, le premier certificat donne les bases du métier; le deuxième mène au métier de coiffeur généraliste; le troisième conduit à l’exercice de spécialités; le quatrième à la gestion d’un salon de coiffure et le cinquième aux fonctions de leadership de créativité du domaine3). Idem en France et en Écosse.

Au Québec, malgré des efforts pour aménager des passerelles entre les certifications, celles-ci demeurent peu empruntées. Bien sûr, il y a derrière ce phénomène des rigidités institutionnelles. Toutefois, même si celles-ci n’existaient pas, il manquerait tout de même cet ingrédient fondamental que les anglo-saxons nomment des « career pathways ». Dans le monde dans lequel nous entrons, nous avons besoin de systèmes d’éducation et de formation qui donnent à voir des parcours de formation et de carrière (career pathways). En d’autres termes, des corpus de certifications qui illustrent les possibilités de progression et de mobilité professionnelles au sein d’une famille de professions et de métiers ou entre familles de professions et de métiers. Je débute coiffeur, mais j’anticipe dès le début devenir styliste dans ce domaine, entretemps, je bifurque vers l’esthétique. Les systèmes australiens et écossais donnent à voir cette possibilité dès le départ et aussi, et c’est là l’essentiel, ils la soutiennent par une offre de formation modulaire où les acquis d’apprentissage sont reconnus aisément d’une certification à l’autre, même si elles n’appartiennent pas à la même famille de métiers. Les « career pathways » sont aussi le pilier de la réforme américaine de la formation professionnelle et technique4). Les « career pathways » et la formation modulaire amènent une réelle fluidité dans les parcours tout en étant une bonne façon de promouvoir la formation professionnelle et technique auprès des jeunes et des parents puisqu’il n’y a plus de voie terminale.

Enfin, et nous terminons là-dessus, au Québec nous avons une excellente base pour faire un cadre national, des « career pathways » et une formation modulaire : une même approche par compétences qui régule la conception des formations professionnelles, techniques et même, celles de l’Emploi (les CQP). En matière de qualification, il est temps d’entrer de plein pied dans ce siècle-ci. Il y va, et ça nous le savons tous, de la santé économique du territoire. C’est ce que permet un CNQ.

Notes

  1. La Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) est une commission interministérielle, interprofessionnelle et interinstitutionnelle. Elle est composée de seize représentants ministériels, de dix partenaires sociaux, de trois représentants élus des chambres consulaires, de trois représentants élus des régions et de douze personnes qualifiées. Ces commissaires sont nommés par arrêté du Premier ministre pour une durée de cinq ans renouvelable. (Wikipédia, Commission nationale de la certification professionnelle).
  2. Les organismes certificateurs sont les suivants et la liste n’est pas exhaustive : l’État via les ministères chargés de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de l’Emploi, de l’Agriculture, de la Jeunesse, de la Santé et des Sports, des Affaires sociales et de la Culture; les partenaires sociaux via les branches professionnelles, les établissements publiques ou privés en leur nom propre, les établissements consulaires, c’est-à-dire relevant des chambres de métiers et de l’artisanat, des chambres de commerce et d’industrie et des chambres d’agriculture, etc.
  3. Pour bien démontrer l’intérêt et la pertinence d’un niveau de qualification élevé pour ce domaine, nous reproduisons en entier le descriptif du métier contenu dans le « training package » australien. « This qualification reflects the role of individuals who apply specialised knowledge and skills in determining and leading the future hair design directions to the hairdressing industry. The job roles include creative or artistic directors who work for larger hairdressing organisations or a hairdressing products company or independently as a freelance session stylist. Individuals in these job roles provide technical and creative leadership, training and support to colleagues and the industry at large, at a national or international level.The ability to provide creative leadership to the hairdressing industry requires the use of broad knowledge and the identification, analysis and evaluation of information from a variety of sources to build personal capability and support the development of innovative and creative thinking for the industry. They possess the research skills to gather and synthesise future trends and technologies in related creative industries such as fashion, graphic and product design to design and create the hair design influenced by these industries trends for the hairdressing industry. In this role, these individuals make complex, high level, independent judgements in analysing and interpreting a creative brief, designing and evaluating innovative hair design concepts, and planning resources to realise the concept. They also possess a substantial depth of theoretical knowledge of hairdressing design elements and principles and highly developed and specialised technical skills. » (Source)
  4. Nous avons présenté la réforme américaine dans un article précédent intitulé Coup d’œil sur la réforme de la FPT américaine.

Extrait

Un CNQ québécois permettrait de résoudre des problèmes relatifs, entre autres, à la formation professionnelle et technique. Des problèmes que nous connaissons tous, mais dont nous savons que les solutions sont difficiles à mettre en oeuvre.

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